Lancement de la résidence littéraire de Rémi Checchetto

… »A Vénissieux, on n’a jamais perdu cette priorité-là, ni cette mémoire-là, peut-être parce qu’il nous a fallu nous battre plus encore, pour faire tomber les barrières territoriales, et les discriminations culturelles. »…

« Comme ta maison est le lieu où tu lis, elle peut nous dire la place que les livres occupent dans ta vie, s’il s’agit d’une défense que tu mets en avant, pour tenir le monde à distance, d’un rêve dans lequel tu t’enfonces, comme dans une drogue, ou si au contraire, il s’agit de ponts que tu jettes vers l’extérieur, vers le monde qui t’intéresse tant…. ».

Une embardée chez Italo Calvino est toujours salutaire. Que doit-elle au hasard ? Pas grand-chose à dire vrai, ou alors le hasard est la main heureuse, qui trace de bien belles perspectives. Non, c’est une façon de saluer, et de souhaiter la bienvenue à Rémi Checchetto, dont le nom porte jusqu’à nous, le charme de l’Italie, et plus précisément de la Vénétie.

Vous voici, cher Rémi, avec nous et parmi nous, le nous des habitants, le nous des diversités culturelles, des richesses populaires, le nous des enfants, des aînés, ce nous ouvert à l’autre, qui fait notre identité et notre histoire : Vénissieux. « Une malle pleine de gens », titrait joliment Antonio Tabucchi, autre grande figure de la littérature italienne.

Il est peut-être là, l’esprit de votre résidence littéraire, celui d’un voyageur habité, muni d’une malle et de mots, dont l’imaginaire et le parcours viennent aujourd’hui se confondre à des voix, des visages inconnus, au territoire d’une ville, fière de son passé industriel, et de ses racines populaires. Car il s’agit bien d’une rencontre, que chacun souhaite singulière et féconde, et il s’agit aussi, et déjà, de la 10ème résidence littéraire, organisée par notre ville, et l’association Espace Pandora.

10 résidences qui n’en feraient qu’une, tant l’écriture et les auteurs continuent de circuler, et de laisser leurs empreintes dans tous les quartiers de Vénissieux. Laura Tirandaz, ici présente, qui vous a précédé, cher Rémi Checchetto, n’a-t-elle pas fini sa résidence, pour nous revenir plus vite ?

Si tous les chemins mènent à Rome, d’autres, apparemment, reviennent à Vénissieux. Je remercie à ce titre, Laura, pour le travail effectué lors de sa résidence, que l’on peut retrouver dans le recueil Un an d’écrits à Vénissieux saison 2018, édité par notre ville. Pour l’avoir parcouru, il y a beaucoup d’inventivité, de simplicité, de malice et d’humanité, dans les mots et proses que les Vénissians, et vous-même, avaient inscrits sur les pages blanches de ce livre.

Après Moussa Konaté, Fabienne Swiatly, Joël Bastard, Mouloud Akkouche, Laure Morali, Pierre Soletti, Denis Pourawa, Samira Negrouche et Laura Tirandaz, c’est donc à vous, Rémi Checchetto, de venir poser vos valises à Vénissieux.

Ecrivain, dramaturge et poète, vous avez écrit de nombreuses pièces de théâtre, ainsi que des recueils de poésie, et publié plus d’une vingtaine de livres. Vous collaborez également avec des artistes, des plasticiens, mais aussi des musiciens, comme Titi Robin, Louis Sclavis, Bernard Lubat.

A travers les ateliers d’écriture, de lectures, et des rencontres publiques, vous allez découvrir Vénissieux et les Vénissians, 3ème ville du Rhône, populaire, industrielle, fière de ses racines. Nos politiques culturelles, 8% de notre budget, défendent une langue écrite, orale, une langue vivante, inscrite physiquement dans notre territoire, à travers le réseau de nos bibliothèques, et notre médiathèque Lucie Aubrac.

Et puis nous avons une chance supplémentaire, et cette chance s’appelle l’Espace Pandora, agitateur poétique, semeur de mots, et correcteur grammatical de nos sociétés, par trop matérialistes. Avec l’association, la parole poétique n’est pas sacralisée, institutionnalisée, elle est diffusée, démocratisée, mise à portée de tous les Vénissians. Festival Parole Ambulante, Le jour du Livre, Le Magnifique Printemps, l’Opération « Dis-moi dix mots », voilà quelques manifestations littéraires, que l’Espace Pandora organise à Vénissieux, et dans la région.

Je tiens à remercier son directeur, Thierry Renard, et toute cette belle et fine équipe, qui font résonner entre nos murs la langue française, pour leur implication et leur investissement à Vénissieux, auprès des Vénissians.

Ce compagnonnage nous unit depuis 34 ans, depuis que l’association Pandora s’est implantée à Vénissieux, en 1985.

Notre ville a reçu le 13 octobre dernier, au grand auditorium de la Bibliothèque nationale de France, le label 2017 « Ma commune aime lire et faire lire ».

La pratique de la langue, et sa diffusion au cœur des quartiers populaires, sont deux enjeux de société majeurs. Pas simplement pour le vivre ensemble, mais pour enrichir et développer d’autres formes de représentation du monde, par l’imaginaire, par la prose, par la sonorité des mots juxtaposés.

Il peut y avoir des freins à l’écriture et à la lecture, des inhibitions individuelles ou culturelles, que ces résidences littéraires, et les actions de notre ville, doivent lever. N’y a-t-il pas pire histoire, que d’être exclu de sa propre langue ?

Sur le fond, trop de discriminations, sociale et territoriale, subsistent. Ne laissons pas faire le déterminisme social. 36% des Français, dont les parents lisaient souvent des livres, sont aujourd’hui eux aussi, de grands lecteurs. Mais qu’en est-il des autres, ces 20% de Français, dont les parents ne lisaient jamais de livres, devenus à leur tour des non-lecteurs. C’est à eux qu’il faut penser, à tous ceux qui peuvent se sentir éloignés du livre, et qu’il faut rapprocher de l’écriture, de nos bibliothèques municipales, des manifestations littéraires, que nous organisons tout au long de l’année.

Autre sujet de préoccupation, dont on ne parle pas assez à mon avis : les inégalités territoriales, très marquées en France. Selon un rapport de l’inspection générale des Bibliothèques, 55% des communes, soit plus de 11 millions de personnes, ne disposent d’aucun lieu de lecture publique.

Il existe encore plusieurs dizaines de villes de plus de 10 000 habitants, qui ont des bibliothèques très largement sous dimensionnées, voire aucune bibliothèque. Peut-être avons-nous oublié un peu vite, qu’avant de scander le mot culture pour tous, il y avait le préalable du combat politique.

A Vénissieux, on n’a jamais perdu cette priorité-là, ni cette mémoire-là, peut-être parce qu’il nous a fallu nous battre plus encore, pour faire tomber les barrières territoriales, et les discriminations culturelles. Bien sûr que la culture est un combat, et les politiques libérales dévastatrices, qui sont menées aujourd’hui, sont là pour réveiller nos consciences. En s’attaquant à l’autonomie financière des collectivités locales, à qui s’en prend l’Etat ?

Aux habitants en premier lieu, mais aussi au tissu associatif, aux politiques culturelles de proximité, à ce maillage du quotidien, qui fait vivre une ville.

Les baisses de dotation de l’Etat, de la Région, ont des conséquences majeures sur le terrain, et pour le milieu culturel, entre les festivals à l’arrêt, les musées fermés, et les manifestations déprogrammées, sur l’ensemble du territoire national, la facture à payer est terrible. Ce combat n’est pas le combat de l’auteur et du lecteur, de la culture et du politique, il est le combat de tous, de chaque citoyen, de chaque habitant, et il est le combat de notre temps, et de chaque instant !

Mais puisqu’il flotte un parfum d’Italie en ce début de soirée, je laisserai le mot de la fin à Italo Calvino, pour boucler la boucle en somme.

« Lire, c’est aller à la rencontre d’une chose qui va exister, mais dont personne ne sait encore ce qu’elle sera… ».

A l’image de votre résidence littéraire, cher Rémi Checchetto, n’y a-t-il pas plus bel horizon, que ce hasard de l’inconnu et de la découverte, de ce qui est appelé à advenir ?

Je vous remercie et je vous souhaite, au nom de tous les Vénissians, la bienvenue dans notre ville.

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