Hommage national à Daniel Cordier

… »Figure de la Résistance, ancien secrétaire de Jean Moulin, Daniel Cordier s’est éteint le 20 novembre dernier. »…

Figure de la Résistance, ancien secrétaire de Jean Moulin, Daniel Cordier s’est éteint le 20 novembre dernier. Il était l’avant-dernier Compagnon de la Libération encore vivant. En ce jour d’hommage national, sa disparition nous rappelle combien la transmission de l’histoire et de la mémoire est primordiale dans notre siècle, où règnent la précipitation et la confusion. Daniel Cordier fait partie de ces hommes auxquels aujourd’hui encore nous devons nos libertés. Avec tous les résistants, anonymes ou plus connus, avec le CNR, il a dit Non à la France de Vichy, à la France de la collaboration et de la soumission, à la France antisémite des rafles de l’été 42, à la France de la droite réactionnaire et de l’extrême droite. Son parcours, improbable et si singulier, illustre aussi la nature de la résistance : un état d’esprit capable d’agréger sous la flamme de la liberté et de la République des hommes et des femmes venus d’horizons divers, mais aussi une école de formation, d’apprentissage. Comment, lui, Daniel Cordier, jeune maurassien issu de la bourgeoisie bordelaise, vendeur de l’Action Française, a-t-il pu s’engager du jour au lendemain dans la Résistance et devenir un homme de gauche porté par des idéaux sincères et humanistes ? Dans un grand entretien accordé au Monde en mai 2018, il revenait sur son engagement. « Comme je vous ai dit, prévient-il, je suis le fils de la guerre de 14. Mon enfance, ce sont les monuments aux morts, les mutilés, etc. Alors, en 1940, quand la France a perdu la guerre qu’elle avait gagnée vingt ans plus tôt, ça a été insupportable pour moi. En écoutant le discours de Pétain, j’ai grimpé à toute vitesse dans ma chambre et je me suis jeté sur mon lit pour sangloter ». Daniel Cordier a ouvert les yeux sur la réalité et l’infamie du régime de Vichy, sur son antisémitisme profond et mortifère. Les a-t-il ouverts par lui-même ou  cette école de la Résistance l’a-t-elle aidé à les ouvrir plus vite ? Un peu des deux certainement. Écoutons encore son témoignage, au cœur de la guerre et d’une France qui commettait l’irréparable.

« C’était au début de l’année 43 à Paris. Je décide d’aller m’incliner devant la tombe du soldat inconnu. Il n’y avait que des soldats allemands qui se prenaient en photo. C’était terrible. Je pensais à cela en descendant les Champs-Elysées quand tout à coup je croise un homme et un enfant. Ils avaient le mot juif et l’étoile jaune cousus sur leur veste. Aujourd’hui encore, j’ai envie de pleurer, tellement ça a été un choc. Là d’un coup, je me suis dit : mais pourquoi ? Pourquoi ? Qu’ils soient juifs ou pas, qu’est-ce que ça peut faire ? Cela a brisé d’un coup mon antisémitisme et cela reste un moment unique dans ma vie ».

Les témoins de la Résistance, des camps d’extermination nazis, de cette barbarie innommable et de cette mort industrialisée par le IIIème Reich, disparaissent peu à peu. Notre façon de transmettre l’histoire s’en trouve modifiée, elle doit nourrir nos réflexions sur des méthodes d’enseignement et des pédagogies différentes, mais plus que jamais nécessaires et indispensables. Pour mesurer la force et les convictions de ces hommes de liberté, plonger au cœur des arcanes de la Résistance française et du CNR, j’invite chacun de nous à lire le livre-journal de Daniel Cordier, paru en mars 2011 et intitulé « Alias Caracalla ». Je laisserai le mot de la fin à ce grand résistant, des mots si justes et si proches du choix d’une vie : « Ces années, je les raconte telles que je les ai vécues, dans l’ignorance du lendemain et la solitude de l’exil. »

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