Capitulation sans condition des armées nazies

Aujourd’hui, interrogeons-nous donc sur la France que l’on veut et sur celle dont on ne veut pas.

En jour de commémoration, nous pensons à ces résistantes et résistants. Eux qui ont fait plus que rendre la liberté à la France, ils nous ont donné un modèle social. Lutte armée et combat politique menés de front, au prix d’un courage et d’une audace sans précédent, ils n’ont pas seulement sauvé notre passé, ils ont bâti notre présent.

La guerre est là, mais n’a-t-elle jamais cessé depuis le 8 mai 45 ? Dans toutes les régions, sur tous les continents, les armes ne se taisent pas, avec leur cortège de drames, de sang d’innocents, d’abomination. Aujourd’hui en Ukraine, hier en Syrie et ailleurs, les hommes ont-ils retenu la leçon du pire chapitre de la civilisation humaine ?

L’industrialisation de la mort dans les camps d’extermination, l’usage d’armes de destruction massive, les populations civiles prises pour cibles. Entre 50 et 70 millions de morts, soit plus de 2% de la population mondiale, c’est l’estimation la plus répandue, qui en fait le conflit le plus meurtrier de l’histoire de l’humanité.

Pour la première fois, les pertes touchent plus les civils que les militaires. 40 à 52 millions de morts, y compris 13 à 20 millions de maladie ou de famine. Les pertes militaires s’évaluent entre 22 et 25 millions, dont 5 millions de prisonniers de guerre morts en captivité.

A Auschwitz, à Treblinka, ce n’est pas la guerre qui se joue, c’est beaucoup plus, c’est la négation de l’être humain, la négation de son identité, de son corps, de sa dignité ! A Ravensbruck, on expérimente des techniques médicales sur les corps des femmes, à Auschwitz, la voie ferrée est prolongée pour terminer son trajet à l’intérieur de Birkenau (Auschwitz II), au plus près des dispositifs de gazage, au printemps 1944.

En 42, on construisait les unités de mise à mort, chambres à gaz et crématoires. Oui, la société des hommes a bâti l’innommable, l’impensable, le génocide à grande échelle.

Auschwitz, c’est trois camps en un : Auschwitz I, où trouvèrent la mort les opposants politiques, communistes et socialistes majoritairement, les résistants. Auschwitz II, où périrent plus d’un million de personnes, juives pour la plupart mais également tziganes, gazés puis brûlées. Auschwitz III, camp de travail. Birkenau s’étend sur 170 hectares, encerclée de 16 kilomètres de barbelés. En tout, 300 baraques environ, dont les occupants sont promis à la mort. 170 hectares pour massacrer les juifs d’Europe, les rayer de la carte.

A-t-on idée du déchaînement d’horreur de ces six années ? Se souvient-on des deux millions de morts en une seule bataille, celle de Stalingrad ? Peut-on imaginer l’effet des deux bombes nucléaires larguées sur Hiroshima et Nagasaki, qui rasent immédiatement les deux villes en août 45 ?

Au plus près de l’impact, il ne reste rien, ni un mur, ni un arbre, ni trace de vie. Rien, comme un symbole du mépris de la vie, vecteur terrible de ces années de rage, de haine et de destruction systématique. Un effondrement, un anéantissement.

Le 3ème Reich s’est attaqué à l’esprit des Lumières et au genre humain, à la Révolution de 1789 comme à l’héritage de la démocratie grecque et du droit romain.

Mais cette année 2022 est une année particulière. Il y a 80 ans, à l’été 42, la France allait perdre son identité et ses valeurs universalistes. La collaboration est une tache sombre dans notre histoire collective. Il y a déjà les lois scélérates de Vichy : l’avortement jugé comme « crime contre la sûreté de l’Etat », la mise en place des syndicats uniques et l’interdiction du droit de grève, pour n’en citer que quelques-unes.

Mais de l’irréparable à l’abject, il n’y a qu’un pas, qui sera franchi lors des rafles de l’été 42 que les juifs de France vont subir.

L’implication des autorités françaises et la soumission à l’Allemagne nazie sont allées plus loin que dans d’autres pays. Le rôle de la France, du moins d’une certaine France, comme rouage et cheville ouvrière de l’Holocauste, est indéniable.

Séquestre des biens et entreprises appartenant aux juifs absents ou arrêtés (octobre 40), premier convoi de déportés depuis le camp de Compiègne (27 mars 42), port obligatoire de l’étoile jaune (29 mai 42, appliqué dès le 7 juin).

Si la politique de quotas est décidée à Berlin, elle sera appliquée à Paris, avant de s’étendre à la zone libre. Pour la France, le quota est fixé dans un premier temps à 40 000 personnes.

Presse censurée, rafles effectuées au petit matin pour limiter le nombre de témoins, tout a été programmé, pensé, prémédité. Des secteurs de l’administration française sont donc sollicités.

Pour la zone libre, l’idée des rafles est émise par Bousquet lui-même auprès des autorités allemandes et de Heydrich, l’un des planificateurs de la Shoah ! Et c’est le même Bousquet qui rédigera les circulaires d’autorisation des arrestations dès août 42.

La nature de ces rafles change radicalement, dans la mesure où l’occupant n’y est pas présent et c’est donc l’Etat Français qui livre de lui-même ses propres citoyens !

Mais la guerre porte aussi en elle son double, le courage d’hommes et de femmes qui s’opposent à Vichy au prix de leur vie. Leur engagement a été total, et aujourd’hui encore il nous laisse sans voix.

« Je ne savais pas que c’était si simple de faire son devoir quand on est en danger. », a écrit Jean Moulin dans une lettre adressée à sa mère et sa sœur.

Eux, les Résistants, sans qui notre France ne serait pas la même. Eux qui ont redessiné le visage de la liberté et de la République à notre pays. Il y a les justes, qui protègent les juifs traqués par les milices de Pucheu.

Ici à Vénissieux, 108 enfants juifs ont été sauvés du camp de Bac ky, le 29 août 1942. Il y a les femmes, dont le rôle fut considérable. Le colonel Rol-Tanguy le confirmait, avec ces mots simples : « Sans elles, la moitié de notre travail eût été impossible ».

Berty Albrecht, Lucie Aubrac, Germaine Tillion, Lise London, Danielle Casanova, Elsa Triolet et tant d’autres anonymes. Il serait temps que l’histoire de notre pays leur accorde la place qu’elles méritent. Elles n’étaient que 6 seulement sur 1061 parmi les compagnons de la libération, une sous-représentation qui donne une vision tronquée de la Résistance. A nous de la corriger au plus vite.

Et puis bien sûr, il y a De Gaulle, Jean Moulin, Henri Frenay, Pierre Brossolette, les tirailleurs sénégalais, algériens, les combattants de l’outre-rhin. Il y a cette jeunesse qui prend les armes et rejoint les maquis, cette jeunesse qui dit non à l’occupation, non à la collaboration.

Et les FTP MOI de Missak Manouchian, poète arménien, immigré résistant, qui peu de temps avant son exécution aux côtés de ses 22 compagnons de L’affiche rouge, disait : « Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la liberté sauront honorer notre mémoire dignement ».

Oui, c’est à eux qu’il faut penser en ce 8 mai, jour de capitulation sans condition des forces armées allemandes. Eux qui ont fait plus que rendre la liberté à la France, ils nous ont donné un modèle social.

Lutte armée et combat politique menés de front, au prix d’un courage et d’une audace sans précédent, ils n’ont pas seulement sauvé notre passé, ils ont bâti notre présent.

Le conseil National de la Résistance à qui l’on doit beaucoup, de nos grands services publics d’Etat à la Sécurité Sociale d’Ambroise Croizat. N’allez pas chercher ailleurs le socle de nos acquis sociaux, il est né là, en pleine période de chaos, dans la clandestinité, et dans l’esprit de résistants éclairés et solidaires.

Leur détermination sans faille a instauré une « démocratie économique et sociale » en France, celle sous laquelle nous vivons encore. Celle qui nous protège et nous accompagne à tous les âges, celle, et on ne s’en rend pas assez compte, que beaucoup de pays et leurs concitoyens nous envient, malgré les coups de boutoir des intérêts privés et du monde de la finance.

En histoire, comparaison n’est pas raison, ne créons pas de confusion. Mais il y a, c’est vrai, de tragiques ricochets.

Quand la France célèbre la défaite du IIIème Reich ce 8 mai, elle ouvre au même moment, avec les massacres de Sétif, le récit dramatique de la guerre d’Algérie et d’une décolonisation ratée.

Aujourd’hui, interrogeons-nous donc sur la France que l’on veut et sur celle dont on ne veut pas. Une France fière de ses valeurs de solidarité et de justice sociale, pas celle du repli et des égoïsmes. Une France du respect de l’autre et de la différence, pas celle du rejet et de la xénophobie.

On a vu où le nationalisme, les propos populistes et les théories de l’extrême droite ont mené l’Allemagne et le monde. Dans la guerre, dans l’horreur, dans l’innommable. Hitler ne s’est pas accaparé le pouvoir par la force, il s’est fait élire par son propre peuple, le peuple allemand.

A l’heure où nos démocraties traversent une crise profonde et inquiétante, il est important de s’en rappeler. Sociologue, résistante, je laisserai le mot de la fin à Germaine Tillion en forme d’avertissement : « Je suis convaincue qu’il n’existe pas un peuple qui soit à l’abri du désastre moral de l’Allemagne nazie. » A chacun de nous de s’en souvenir et d’agir pour la paix et la démocratie.

Je vous remercie.

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