Libération de Vénissieux et des combats du 24 août 1944

… »135 tués, 30 disparus, 90 fusillés, 6 bombardements aériens, plus de 600 maisons à l’état de ruines ou endommagées, des usines dévastées, à la sortie de la guerre, Vénissieux est détruite à 50%. »…

C’est une lettre, une lettre comme il y en eut tant d’autres pendant cette guerre horrible, mais une lettre d’un vénissian, adressée à ses parents. Une lettre qui exprime l’espoir naissant de la libération, mais qui montre aussi, l’extrême cruauté de ce conflit. Nous sommes le 3 mai 45, Henri Jouanhanne, prisonnier du camp d’Allach, un camp extérieur au camp de concentration de Dachau, écrit ces mots, j’ouvre les guillemets : « C’est Henri qui vous écris du camp de concentration d’où les américains viennent de chasser les troupes allemandes qui nous mènent depuis 8 mois une vie d’enfer. J’espère très bientôt vous retrouver, revenir dans cette France chérie que j’ai souvent cru ne plus revoir. Je brûle de l’envie de vous serrer dans mes bras tous. Vous allez avoir de la peine à me reconnaître quand j’arriverai en gare, et moi aussi d’ailleurs car je suis tondu et je n’ai plus de lunettes. D’ailleurs tout ce qui me reste de la maison, c’est la ceinture. J’espère que vous êtes tous en bonne santé et que vous ne souffrez plus de restrictions depuis que les américains sont arrivés en France ». Puis ce jeune Vénissian évoque quelques petites dettes, et une note à son dentiste qu’il entend régler très vite, avant de conclure avec ces phrases pleines d’humanité : « A bientôt, êtres chers à qui je n’ai cessé de penser et qui avez été ma raison de vivre. Combien va être douce l’existence près de vous ».

Quelques jours plus tard, suite aux conditions de détention dures et inhumaines endurées dans les camps, Henri Jouanhanne décèdera, malgré les soins prodigués dans un sanatorium de Colmar. Il ne reverra pas sa famille, il ne reverra pas Vénissieux. Une tragédie de plus, terrible, glaçante, qui exprime l’horreur de ces cinq années de guerre, cinq années de souffrances, cinq années pendant lesquelles, le régime nazi a détruit l’idée même de civilisation, l’héritage de la démocratie grecque, du droit romain, du siècle des lumières. Jusqu’au bout, le 3ème Reich et le régime de Vichy, auront attisé la haine et répandu le sang. Alors que l’été 44 annonce la défaite inéluctable de l’Allemagne d’Hitler, la répression s’abat avec une violence inouïe. On pense à Oradour-sur-Glane, village martyr, mais dans notre région, les massacres se multiplient contre les résistants. Massacres de Vassieux-en-Vercors, Le 9 juin 1944, 19 détenus sont emmenés jusqu’au bois de Cornavent, à Communay, où ils sont fusillés.

Le 12 juin, 23 détenus sont conduits jusqu’à Neuville-sur-Saône. Vers 19 heures, les véhicules s’arrêtent au lieu-dit La Chaumière. À coups de pied et de poing, les prisonniers sont extraits de la camionnette, et poussés dans le petit chemin. Ils sont abattus à la mitraillette, puis reçoivent le coup de grâce. Le 13 juin, 19 prisonniers de Montluc, sinistre prison, vont périr au lieu-dit «Tossard», à 2 kilomètres et demi de Villeneuve-sur-Ain, en bordure de la route nationale n° 436.

Le 16 juin, une trentaine de détenus, dont un aveugle et un mutilé, sont embarqués dans une camionnette qui, avec son escorte, parcourt une trentaine de kilomètres sur la route de Bourg-en-Bresse, avant de s’arrêter au bord d’une petite route, à 2 km environ du village de Saint-Didier-de-Formans dans l’Ain. C’est par groupes de quatre hommes qu’ils sont descendus de la camionnette, détachés, emmenés dans le pré, et abattus à la mitraillette. Il y a parmi les victimes de cette exécution sommaire, l’historien Marc Bloch. En tombant sous les balles, un patriote, Francisque Jomard, semble, 72 ans après, s’adresser à nous, je le cite : « Nous ne verrons pas les beaux jours pour lesquels nous avons travaillé, mais tant pis, d’autres les verront pour nous ! ».

Juillet-août 44, les prisonniers de Montluc sont lâchement fusillés à Bron, à Saint-Genis Laval, le maquis de l’Azergues est décimé.

On comprend mieux dès lors, l’immense soulagement et la joie profonde de ce 2 septembre 44 à Vénissieux. Le comité de libération de Vénissieux vient de hisser le drapeau tricolore sur la façade de l’ancien hôtel de ville, aujourd’hui maison Henri Rol-Tanguy. Le geste est d’autant plus chargé d’émotions, d’autant plus fort, que notre ville s’est libérée d’elle-même, par un mouvement d’insurrection populaire, peu de temps avant l’arrivée des troupes alliées. Le symbole n’est pas anodin, on peut y lire un trait de caractère, celui d’être fier d’être vénissian, celui de ne jamais renoncer face aux épreuves que la vie nous tend, de ne jamais plier face au plus fort et au plus puissant.

Comparaison n’est pas raison, mais notre ville, de 1944 à aujourd’hui, n’a jamais perdu ce fil de la résistance et de la solidarité, contre la guerre physique et terrible, contre la guerre économique, plus sourde, mais néanmoins présente. L’esprit de résilience, l’esprit de la libération du 2 septembre 44, n’est pas né au dernier moment. Il est le fruit d’hommes et de femmes, engagés dans des combats nombreux, toujours solidaires dans le monde du travail. Courage des cheminots et des syndicats clandestins, qui se mettent en grève dans la plupart des entreprises de la région, contre la mise en place du STO. Courage des ouvriers qui s’opposent dans les usines, à la Sigma, à la Société des Electrodes et Réfractaires de Savoie, aux Aciéries de Longwy, aux ordres de réquisition allemands. Courage d’appartenir à un mouvement social, alors que Vichy traque, frappe et arrête tout opposant à l’ordre capitaliste. La moindre résistance, au cœur de ces années noires, est un acte de bravoure, où la fermeté de ses convictions peuvent conduire à la déportation, aux arrestations arbitraires, à l’élimination physique. Courage des immigrés et étrangers qui forment le groupe « Carmagnole-Liberté », auteur de multiples sabotages d’usines de la commune.

Comment, aussi, ne pas évoquer le sauvetage d’enfants et de parents, promis à la déportation et à la mort dans les camps d’extermination du 3ème Reich. Il faut revenir dans les détails sur l’épisode du camp de Bac Ky, un ancien camp militaire désaffecté de Vénissieux, réquisitionné par le préfet régional de Lyon, Alexandre Angeli, aux ordres du régime de Vichy. Le 2 juillet 42, Oberg et Bousquet organisent les conditions d’arrestation et d’internement des juifs, par la police française. La France de Pétain va commettre l’irréparable : pour soi-disant protéger les juifs français, elle accepte de livrer 22 000 juifs étrangers de la zone occupée, et plus de 10 000 résidant dans les 40 départements de la zone libre.

A Lyon, la date de l’opération du début des rafles, est arrêtée au lundi 24 août. Vichy précise, dans un cynisme qui glace encore le sang, qu’il serait préférable d’opérer les arrestations au petit matin. Un millier de juifs étrangers sont ainsi parqués dans le camp de Bac Ky. Face à l’inacceptable, des résistants, des religieux, des acteurs associatifs, vont coordonner leur action pour exfiltrer des enfants juifs, et les sauver de la déportation, de Drancy, d’Auschwitz. Une terrible course contre la montre s’engage, pendant laquelle les parents signent des délégations de paternité, pour que leurs garçons et leurs filles, puissent échapper à la Shoah, aux chambres à gaz. De Vénissieux, 545 juifs étrangers seront conduits sur Drancy, avant d’être déportés, mais une centaine d’enfants sera sauvée, grâce à ces Justes, à ces résistants, qui ne pouvaient tolérer la collaboration active de Vichy et de l’Etat Français, dans cette entreprise d’élimination aveugle et insoutenable. Ces vies sauvées, c’est un message d’espoir que l’histoire de Vénissieux nous transmet, aujourd’hui encore.

135 tués, 30 disparus, 90 fusillés, 6 bombardements aériens, plus de 600 maisons à l’état de ruines ou endommagées, des usines dévastées, à la sortie de la guerre, Vénissieux est détruite à 50%. La Ville reçoit à ce titre la Croix de Guerre en 1945. Elle pleure ses morts, comme ces cinq patriotes, tombés sous les balles allemandes, le long du mur Berliet, à quelques jours seulement de la libération. Ils s’appelaient Louis Trocaz, Pierre Joseph Gayelen, Félix Gojoly, Louis Moulin et Jean Navarro.

D’autres noms sont entrés dans notre mémoire collective. Ennemond Roman, Louis Dupic, Georges Roudil, les frères Amadéo, Francisque Paches, Charles Jeannin, et tant d’autres, Vénissieux porte la mémoire de tous ceux qui ont créé les conditions de ce 2 septembre 44. Une ville en paix, une ville en république, une ville de liberté, voilà ce que les hommes et les femmes, épris des principes de liberté et de tolérance, sont allés chercher avec force, avec courage, avec l’espoir de jours meilleurs, d’un nouvel horizon. Nous vivons aujourd’hui dans la ville qu’ils nous ont donnée, qu’ils nous ont transmise, qu’ils nous ont restituée.

L’année écoulée en France, avec son flot de violences aveugles, abjectes et barbares, est venue nous rappeler combien les valeurs de paix, de liberté, de tolérance et de laïcité, restent de tout temps fragiles. « Eduquer à la paix pour résister à l’esprit de guerre », prévient Edgar Morin, ancien résistant, sociologue et philosophe. C’est sur ces mots simples et justes, forts de notre histoire commune, que nous devons dessiner ensemble l’avenir de Vénissieux.

Je vous remercie.

X